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Entretien avec Remi Coignet




Bonjour Rémi Coignet.

Tu es journaliste, écrivain, rédacteur en chef de la revue The Eyes et auteur du blog Le monde des livres depuis 2009.

2009, c’est également la date de la sortie de mon premier livre (Galaxie, White press). Nous avions eu l’occasion en 2011 d’échanger par rapport à mon deuxième livre (études typologiques, Galerie 2600).

Tu as ren



contré pour tes conversations les plus grands spécialistes du livre de photographie, dont tu fais désormais partie, tu es invité à faire régulièrement des chroniques dans diverses publications de référence, je pense au aperture Photobook Review ou photo eye, et tu fais partie du jury de présélection du prix du livre de photographie des rencontres d’Arles.

Je suis en train de travailler sur une thèse de doctorat qui traite de l’influence du numérique sur le livre de photographie et ma principale théorie est que l’influence opérée par le numérique ces 15 dernières années sur les pratiques éditoriales a favorisé la condition d’émergence d’une nouvelle histoire contemporaine du livre de photographie,.. si tenté que cette histoire soit déjà existante.


Quand et comment as-tu commencé à t’intéresser aux livres de photographies?

RC

J’ai commencé à m’y intéresser vers l’âge de 17 ans, vers la fin des années 80. J’ai grandi à Arles et j’avais été marqué par 2 expositions : Trouble land de Paul Graham et The ballad of sexual dependency de Nan Golding, qui étaient toutes les deux accompagnées de livres, que je n’ai malheureusement pas achetés à l’époque (je les ai désormais tous les deux). Ces deux expositions ont été une vrai révélation pour moi. À cette époque aussi, j’ai écumé la bibliothèque municipale d’Arles qui, pour une bibliothèque grand public, possède un très bon fond de livres de photographies. J’y ai emprunté tous les livres, de la lettre A à la lettre Z et je les ai regardés.. à partir de là j’ai commencé à acheter des livres dans les solderies à Montpellier puis chez Mona Lisait à Paris. J’ai par exemple acheté des livres de Paul Graham de chez Scalo pour 5 euros..


OC

Ya t-il un livre en particulier qui t’a marqué plus que les autres, et qui aura su te convaincre de t’engager dans cette voie?


RC

Ce qui m’a réellement convaincu de m’engager dans ce milieu, c’est la parution de A Shimmer of possibilities du même Paul Graham (SteidlMack 2007). À la sortie de ce coffret, ensemble de 12 livres, personne n’en a parlé dans la presse française. J’avais acheté le coffret, fasciné par cet objet éditorial totalement étonnant. je me suis dit à ce moment là : puisque personne ne parle des objets qui m’intéressent, pourquoi ne pas le faire moi-même. c’est ainsi que j’ai crée des livres et des photos sur le site du monde. À ce moment là, je lisais régulièrement le blog que Jeffrey Ladd écrivait en anglais depuis un an sur le même sujet (5b4* Jeffrey Ladd est également fondateur des éditions Errata), j’avais étudié la photographie à l’Université et je travaillais dans l’édition plutôt grand public pour La Martinière.. toujours donc autour du sujet.

À cette époque là, la presse photo type réponse photo était absolument indigente en matière de critique, et la presse généraliste comme le Monde ou Télérama ne parlait de livres de photographies que pour Noël.. j’ai pensé qu’il était possible d’écrire de la critique de livres de photographies comme on écrit de la critique de cinéma ou de la critique littéraire, en dégageant les enjeux soulevés par les livres en tant qu’oeuvres. Après cela, Le BAL s’est ouvert à Paris et a été une formidable plate-forme de rencontres autour du livre de photographie notamment. Le milieu était complètement atomisé et j’ai pu à ce moment là rencontrer des spécialistes qui habitaient à 200 mètres de chez moi et que je n’avais jamais rencontrés physiquement. La librairie du BAL a été un formidable carrefour où toutes les énergies parisiennes et internationales ont pu se rencontrer. Au même moment que l’ouverture du BAL a eu lieu en 2011 la première édition de Offprint où l’on a pu voir tous ces groupes de hollandais remontant la rue Charonne et portant cette ferveur internationale autour du livre. Cela grouillait de monde, alors que jusqu’ici sur Paris, mis à part avec la librairie de Markus Schaden, Paris Photo ne prêtait pas trop attention aux livres.


OC

C’est intéressant que tu cites Markus Schaden, qui est mon premier éditeur, et qui pour moi canalisait jusqu’alors cette énergie événementielle autour du livre de photographie contemporain. Il a débuté vers 2001 à organiser ce mini salon du livre photo pendant les rencontres d’Arles et c’est avec lui que j’ai débuté le premier Cosmos en 2009, qui s’appelait alors Supermarkt : cela s’était construit sur l’idée du do it yourself, faire les choses à sa manière en court-circuitant les étapes classiques.

Je trouve aussi intéressant de constater qu’il y quelque chose du Do it yourself dans la façon dont tu as mis en place ce blog, comme cela peut être aussi le cas dans l’auto-publication. je pense y être venu moi-même par un protocole similaire : la déception de voir comment les choses se font de façon traditionnelle te pousse à les réaliser à ta manière. Et le fait que ton blog soit aussi véhiculé par un support numérique ne fait qu’appuyer ce en quoi l’auto publication peut être favorisée par le numérique


RC

C’est d’ailleurs intéressant de constater que la presse papier ne parlait pas de livres de photos et que c’est sur support numérique que l’on a recommandé à parler d’objets sur supports physiques.. de la même manière que des lieux et des événements comme Cosmos ou Offprint qui diffusent des objets physiques trouvent leur public et se diffusent grâce à Internet.


OC

Je peux témoigner qu’au Cosmos, la communication se fait principalement par voie numérique, pour être plus rapide et direct mais aussi pour limiter les coûts..

Pour rester sur ces lieux où l’on a l’occasion de toucher ces livres et de rencontrer les micro-structures éditoriales, que t’inspire la profusion de livres auto-publiés de ces 10-15 dernières années?


RC

.. Evidemment je n’aime pas tout mais chacun est libre de faire ce qu’il veut, à chacun de trouver son modèle économique. Il y a de l’auto-édition qui se vend à des milliers d’exemplaires, je pense à Stephen Gill, et d’autres vont se limiter à 50 exemplaires ou moins.. cela devient de plus en plus difficile pour chacun de trouver son marché car il y a des milliers de titres qui sortent chaque année dans le monde.

Pour le prix du livre à Arles en 2015, nous avons reçu 750 livres, alors que certaines zones du monde n’avaient quasiment pas envoyé de livres, je pense au continent américain et asiatique. On peut facilement imaginer qu’il s’est publié 3000 livres de photographies dans le monde en 2015.


OC

Peut-on penser à une multipolarisation, en rupture avec l’hégémonie traditionnelle des rencontres d’Arles pour l’été et de Paris photo pour l’hiver?


RC

Peut-être, il y a même des éditeurs qui renoncent à participer aux prix et concours car ils sont sans cesse sollicités. Il faut aussi prendre en considération que la simple question des frais de port peut-être un frein économique. Pour Arles, l’Europe, y compris l’Europe de l’est était très bien représentée.


OC

As-tu ressenti, de ta vision pré et post numérique, un changement important dans la forme des livres, dès lors qu’ils étaient conçues avec des logiciels de mise en page?


RC

Les logiciels ont rendu plus accessible la création de livres, on peut apprendre en quelques semaines à faire une mise en page, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire que ce sera une bonne mise en page.

On voit d’ailleurs de plus en plus de livres avec des formats de pages différents, des types de papiers différents, des formes complexes.. je pense que techniquement c’est beaucoup plus facile à concevoir avec ces outils là qu’avec les outils analogiques.


OC

Je discutais hier avec Florence Loewy, qui estimait que le numérique emmenait vers une forme de standardisation, comme on peut le voir avec tous ces exemples de Print On Demand.. mais d’un autre côté, je peux citer quelques contre exemples où l’on se retrouve dans la position inverse. Pour mon livre en forme de pyramide publié avec RVB Books, tout a été prototypé avec un logiciel de mise en page et l’impression est réalisée avec les mêmes type de machines dites offset numérique que les livres imprimables en ligne.


RC

C’est vrai que les 2 aspects sont présents. La limite que je vois à ça, c’est la course gratuite à l’originalité pour se faire remarquer sur la table de l’éditeur. Ce qui me semble décisif reste la cohérence entre la forme donnée et le sujet du livre. Les tranches visibles, papiers de différentes sortes ou reliures improbables m’importent peu, ce qui m’importe reste la production de sens.


OC

Pour toi, à quel niveau se situe l’influence majeure du numérique sur l’édition? Sur le contenu, sur le design graphique, sur le façonnage, sur la distribution, la diffusion.. sans ouvrir toutes les portes, y’a t-il un domaine où cela te parait décisif?


RC

Sur l’impression, il est possible de faire un livre à 50 ex. à l’imprimante.. L’impression numérique fait de très très gros progrès. Parfois pour un livre tirée à 200 exemplaires, on ne voie pas la différence entre une impression numérique bien réalisée et de l’offset.

Tout le monde est d’accord pour dire que la distribution est assez compliquée. Pour ce qui est la diffusion, les blogs on fait très rapidement changer les choses. Je suis d’accord avec Marc Feustel pour dire que les blogs ont un peu perdu de leur raison d’être, plus personne ne lit un texte de 3000 signes sur un blog.

Facebook a pris le relais, il permet une diffusion très large et très peu coûteuse, permettant à de nombreuses personnes de s’en servir. Il y a eu la création de nombreux groupes, comme Photobook, Flak Photobook .., au départ c’était super mais c’est devenu trop centré sur l’auto-promotion, perdant son intérêt. Il est devenu plus pertinent à l’heure actuelle de créer une page dédié à un livre ou à un événement et de la faire partager. Cela implique d’avoir une certaine surface de followers (terme plus approprié que celui d’amis). Je pense à un cas précis, un italien qui s’appelle Matteo Di Giovanni vient de lancer un projet « Reaching the Cape » pour faire un voyage au Cap Nord. Giulia Zorzi de Micamera, la librairie à Milan, m’a présentée le projet. J’ai relayé l’information.. une agrégation de 4-5 personnes me parait plus efficace pour faire parler d’un projet.

Pour ce qui est du contenu, Internet donne aux créateurs accès à une masse infinie d’images qu’ils peuvent s’approprier et donc on voit des livres qu’on n’aurait jamais vu avant… même si l’appropriationisme existait déjà.


OC

On en revient un peu au système des recommandations, tel qu’il se pratique auprès des institutions, mais avec une amplitude géographique plus importante et des moyens de communication beaucoup plus directs..


RC

La manière de diffuser l’information évolue constamment..

OC

De part la multiplicité de possibilités de formes de livres offertes par le numérique, penses-tu que cela influence aussi la façon dont les photographes vont faire évoluer leurs contenus, produire leurs images? Autrement dit, les photographes se projettent-ils plus facilement dans la forme du livre?


RC

Oui, je pense à l’exemple donné par Kummer et Herrman lorsqu’ils travaillaient sur « Don’t Smile now » de Wassinklundgren; ils avaient travaillé très en amont sur la forme du livre, avec une idée assez précise de la maquette. Cela leur a permis d’aller beaucoup plus loin dans la réalisation des images en fonction de la forme que le livre allait avoir.


OC

penses-tu que le livre « numérique » dématérialisée va trouver une place dans le champ de l’édition?


RC

Pour l’instant je n’en vois pas, je pense que le livre numérique est un échec complet.. déjà parce que ce n’est pas un livre.. C’est plus proche du cd-rom, un objet multimédia qui peut-être utile pour accéder à des livres du passé qui sont inaccessible ou qui valent des fortunes.

Je pense aussi que les gens ne sont pas prêts à payer pour du contenu à lire sur leur ipad. je peux prendre l’exemple de The Eyes (Remi Coignet en est le rédacteur en chef). Nous proposions une version numérique que nous avons du arpenter car on en vendait trop peu; L’énergie que cela demande et les coût de production sont démesurés par rapport à l’intérêt du public


OC

J’ai l’impression que le développement de ce type de publications, qui ont aussi permis de débloquer des budgets à un certain moment, est en train de connaître un coup de frein assez impressionnant. Cela peut être de la recherche financée pour le long terme mais qui ne peut pour l’instant rentrer dans une logique économique


RC

Il y a un contre-exemple que je trouve génial, c’est Aperture qui vient de numériser tous les numéros de la revue et qui permettra d’accéder à tous les articles à un coût modique. Si tu cherches un article sur Edward Weston, tu sauras comment son oeuvre a été traité sur une période de 50 ans.


OC

Je pense aussi à Sha Sha Sha, qui sur sa plateforme numérique permet d’acheter des versions Ipad de nombreux livres introuvables, (j’ai moi-même acheté les deux exemplaires de Colors de Moriyama ). À la fois je suis ravi d’avoir accès à ce contenu mais pour le coup tu ne possèdes pas de fichier donc il y a toujours le risque que les serveurs devienne obsolètes ou que l’éditeur fasse faillite, ce qui aurait la conséquence de te faire perdre le livre.


RC

Pour moi l’analogie avec le CD-Rom est assez bonne, de par le risque d’obsolescence des Apps que tu achètes maintenant, avec une échéance inconnue.


OC

Je trouve de mon côté que l’on dénigre trop le PDF, qui permet lui de posséder un fichier avec la certitude qu’il sera toujours lisible dans 100 ans. Il y’a aussi à trouver une appellation plus heureuse que le livre numérique, qui peut être aidante pour le néophyte mais qui reste piégeuse pour le sens historique que l’on peut donner à ce type de publication. Un livre reste un ensemble de feuilles reliées, qu’on le veuille ou non..

RC

On est d’accord, un livre numérique n’est pas un livre..


OC

Une dernière question, es-tu d’accord si le numérique a favorisé l’apparition d’une nouvelle histoire de la photographie ou du livre de photographie qui débuterai vers les années 2000?

RC

Pas vraiment, car c’est par des livres sur les livres - à commencer par Horacio Fernandez, avec Fotografia publica, qui a été une exposition au Musée Reina Sophia avec un catalogue publié en 1999 - que l’on a pris conscience de la richesse de cette histoire du livre de photographie.

Je ne sais pas si cela crée une nouvelle histoire mais cela crée un bouillonnement et une scène extrêmement dynamique et internationale.. par la facilité de production des livres, par la communication, etc..


OC

En tous cas, je n’exclue pas le fait que les livres sur les livres contribuent à la création de cette histoire, aussi par le fait que leur existence est favorisée par le numérique; parce qu’il faut numériser, il faut mettre en page, on peut aussi parler de l’influence d’Ebay là-dedans. j’ai toujours entendu dire que Martin Parr avait constitué l’essentiel de sa collection grâce aux enchères en ligne..

RC

On voit bien qu’avec le troisième volume du livre de Parr et Badger (the Photobook, a History), une part importante du livre est consacrée à la scène contemporaine depuis une dizaine ou une quinzaine d’années, cette scène qui vit pleinement à la fois dans le numérique et dans le livre physique.. mais je pense que cette histoire reste encore à écrire, il faudra peut-être l’écrire dans 40 ou 50 ans.

Martin Parr revendique beaucoup le fait qu’il veut rendre l’histoire aux photographes, que c’est la faute des universitaires qui n’avaient pas vu le livre jusque là.. mais à moment donné, il faudra bien que les historiens se ré-emparent de toute cette histoire du livre de photographie. Et je ne jette pas la pierre à Marti

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